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Alerte Maladie La MHE n’est pas une simple « grippette »

Les bovins touchés par la MHE souffrent notamment d'anorexie, de fièvre ou encore de boiterie.

La maladie hémorragique épizootique, qui progresse en France et en Europe, entraîne peu de mortalité mais nécessite des soins lourds. D’après les vétérinaires sur le terrain, l’impact de la maladie est sous-évalué.

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« Ce n’est pas une grippette ! Les vaches sont vraiment, mais vraiment malades !» La voix chargée de colère, Émilie Gusse, vétérinaire en Ariège, tape du poing sur la table. Ulcérations du mufle, boiteries, fièvre, anorexie… Les bovins qu’elle voit atteints de maladie hémorragique épizootique (MHE) souffrent, et parfois meurent. Le 2 octobre, lors d’une visioconférence du groupement technique vétérinaire d’Occitanie consacrée à cette maladie émergente, elle n’est pas seule à dire son inquiétude et son mécontentement. Le décalage est trop grand entre les communiqués officiels et la perception des professionnels sur le terrain. Neuf jours plus tard, jointe par L’éleveur laitier, la vétérinaire ne décolère pas.

Au 11 octobre, aucun foyer n’est encore officiellement déclaré dans son département. « Pourtant, nous avons eu les premiers cas il y a trois semaines, et là ça flambe, témoigne Émilie Gusse. Nous avons 24 foyers détectés par le laboratoire départemental, dont huit confirmés par le LNR [laboratoire national de référence], sans compter les résultats en attente. » Alors que ces derniers sont donnés par le labo départemental sous 24 ou 48 heures, le délai atteint de deux à trois semaines pour le LNR. À l’Anses, on assure qu’il n’y a « aucun retard dans l’analyse des prélèvements reçus ». Alors pourquoi ce délai dans les communications du ministère ? Certains ont soupçonné « une volonté politique » de minimiser l’épidémie et ses mesures contraignantes.

Le point de situation hebdomadaire du 12 octobre a enfin fait apparaître l’Ariège aux côtés des cinq départements (Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Gers et Landes), totalisant alors 450 foyers. La même semaine, la Suisse déclarait son premier foyer, induisant une zone réglementée d’un rayon de 150 km, qui inclut 250 communes françaises en Haute-Savoie, Savoie et dans l’Ain.

Lésions buccales et boiteries

Avec de la fièvre, des ulcérations du mufle, du jetage (nez qui coule) et des boiteries, les symptômes sont indifférenciables de ceux dus à la fièvre catarrhale ovine (FCO). Seule une prise de sang peut faire la distinction entre ces deux maladies transmises par des moucherons. Pour l’instant, aucun cas d’animal positif aux deux n’a été dépisté. Pour le Dr Gusse, les signes cliniques de la MHE sont cependant plus sérieux que ceux qu’elle avait connus avec la FCO, notamment des ulcérations buccales empêchant parfois les vaches de s’alimenter et des boiteries pouvant aller jusqu’à la chute d’onglons. Des confrères ont rapporté des cas de diarrhées sanglantes.

La morbidité de la maladie est difficile à évaluer à cause de la présence d’asymptomatiques non dépistés. « Là où il y a de nombreux moucherons infectés, il y aura de nombreux animaux séropositifs mais qui ne seront pas tous malades. Comme seuls les malades sont testés, on ne connaît pas le nombre total d’animaux infectés ni la proportion d’infectés qui expriment des symptômes », résume Stephan Zientara, vétérinaire et virologiste à l’Anses.

La Maladie se propoage par les moucherons infestés. Mais tous les bovins ne déclarent pas forcément des symptômes. (© V.Philis)

Les communiqués du ministère indiquent que les cheptels bovins infectés ne compteraient pas plus de 3 % d’animaux malades en moyenne. Sur le terrain, les vétérinaires réfutent ces chiffres. À l’instar de Vivien Philis dans les Hautes-Pyrénées, qui a eu le premier cas français dans sa clientèle, le 8 septembre. «Avec les confrères, sur l’ensemble des zones touchées, on est plutôt entre 10 et 15 % de morbidité en moyenne, évalue-t-il. J’ai même vu un élevage de 80 bêtes avec 35 malades ! »

Une mortalité faible, mais des soins lourds

La gravité de la maladie est également discutée. Certes, la mortalité chez les bovins est faible. L’Anses et le ministère évoquent 0,1 %, les vétérinaires du Sud-Ouest, de 1 à 2 %, surtout sur des animaux affaiblis, âgés ou fragiles. «La plupart des vaches guérissent vite mais elles exigent des soins non négligeables, insiste cependant le Dr Philis. Après notre visite, elles ont au minimum trois jours d’anti-inflammatoires pour les soulager et d’antibiotiques pour éviter une surinfection. Et on doit parfois revenir les drencher pendant plusieurs jours car la langue a tellement gonflé qu’elles ne peuvent plus boire ni manger.»

En plus des soins à prodiguer aux animaux malades, une surveillance biquotidienne s’impose à tous les élevages de la zone réglementée. Et, tout cas suspicieux doit être déclaré au vétérinaire sanitaire. Or «une vache en forme le matin peut être malade le soir ». Pour les bovins en estive, ces visites de contrôle prennent du temps. «On sous-estime la charge mentale pour les éleveurs qui vont matin et soir voir leurs animaux avec la boule au ventre, de peur d’en trouver un malade, souligne Émilie Gusse. Et la maladie a un coût. La visite de suspicion et le test de dépistage sont pris en charge par l’État, mais on ne soigne pas avec des prises de sang ! Il faut payer les médicaments. De plus, les vaches mangent moins, maigrissent, avortent parfois. Et on ne sait encore rien des effets à long terme sur la fertilité, la productivité, les boiteries… »

Dans le Sud-Ouest, spécialisation oblige, la majorité des cas concernait des troupeaux allaitants. «Des génisses laitières au pâturage ont été touchées, mais les troupeaux laitiers, surtout élevés en bâtiments, sont moins exposés», rapporte Vivien Philis. Des confrères ont pu observer des chutes de production chez des vaches laitières touchées.

Dans les Hautes-Pyrénées, l’épidémie s’est un peu calmée après avoir atteint son pic entre mi-septembre et début octobre. Au contraire de l’Ariège où le Dr Gusse, le 18 octobre, évoque de six à sept foyers quotidiens détectés rien que dans sa clientèle, « sans compter les élevages touchés non dépistés par la prise de sang ». La vétérinaire signale aussi des médicaments en rupture.

Une immunité acquise par la suite

Difficile de prévoir la suite. «On ne contrôle pas les populations de vecteurs, souligne Stephan Zientara à l’Anses. Mais, dans les zones où le virus a circulé, une immunité collective se met en place. Les animaux qui ont été infectés, même sans symptômes, seront protégés en cas de réinfection.» Combien de temps dure cette immunité acquise ? Le manque de recul interdit d’être catégorique, mais en extrapolant à partir d’autres modèles, l’expert table sur « au moins une année ».

Autre certitude : la propagation de la maladie est liée au climat et à l’environnement. «Plus il fait chaud, plus les moucherons se reproduisent et plus le virus se réplique à l’intérieur du moucheron, résume le virologue. Il y aura donc davantage de piqûres et davantage de transmission du virus. »

Contrôler les sorties d’animaux de la zone réglementée vise à éviter aux bovins virémiques, arrivant en zone indemne, de transmettre la maladie aux moucherons, qui la propageront par leurs futures piqûres.

En outre, côté prévention, il est inutile de désinsectiser l’environnement des bêtes : « C’est inefficace et néfaste pour l’environnement, tranche l’expert. Faute de mieux, la désinsectisation individuelle des animaux peut retarder l’infection. La seule méthode de lutte efficace serait la vaccination.» Mais de vaccin, il n’y en a point.

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